Epave sur le parking : Opror

Ce corpus constitué d’entretiens réalisés de visu, puis par mél, avec trois danoises, membres d’Opror, groupe fictionnel de grindcore (Vrede, 2019) et de 21 tweets postés par suf marenda en mai 2019, invite à explorer l’hypothèse suivante : bien que fils unique, ce dernier, petit bourgeois intellectuel d’origine maghrébine et pied-noire, aurait tout aussi bien pu grandir au sein d’une fratrie…

Interview d’Opror (part. I)

Astrid : Comme tu le sais, on s’appelle Opror (rires). Et on est toutes les trois d’Odense. Donc, pour ceux qui connaissent pas, Odense, c’est « la commune de la région Danemark du Sud issue de la réforme communale de 2007 » – c’est écrit comme ça sur le Wikipédia français (rires) ! Je te jure, tu pourras regarder, je l’ai cherché tout à l’heure sur mon téléphone ! Non, en fait, Odense est surtout connu pour son festival Andersen, qui est…, enfin, dont nous on a à peu près rien à foutre.
Et donc, depuis toujours, moi et Lisbet on fait du skate et aussi du « putain de rock’n’roll » (elle prend un accent distingué) ! Mais, en fait, chacune de son côté. Parce que, bizarrement, comme c’est pas grand ici, on se croisait un peu partout, mais on se connaissait pas vraiment.

Mais surtout, vous bossez dans le même resto. C’est dingue !


Oui, c’est une très grosse boîte, avec des horaires décalés et tout. Il a fallu une fête corporate intello/binouze comme les patrons danois en ont le secret (une soirée Fichte/Kant ndli) pour qu’on commence à s’approcher et, bien sûr, rapidement à discuter musique.

Lisbet : Ouais, et que musique ! Parce que le skate on s’en tape !

Astrid : Ouais, complet ! Et, tu vois, avec Lisbet on a soufflé 48 bougies pour elle et 50 pour moi, et on n’est toujours pas fatiguées de faire les andouilles ! Même Stina qui a 29 ans, elle a parfois du mal à nous suivre dans nos délires de chiennes folles. Donc c’est carrément bon signe !

Stina : Bon signe ? (rires)

Stina, tu travailles aussi chez DFC ?


Plus maintenant. J’y ai bossé un temps. Genre, un an ? (elle interroge les deux autres du regard)

Astrid : C’est juste le temps qu’il a fallu pour qu’on la « recrute », nous, et après…

Stina : …et après, je me suis « recrutée » toute seule. Et là, en fait, ça fait deux ans que je bosse en free lance, un peu comme commissaire aux comptes pour plein de boîtes.

Astrid : et maintenant, elle est blindée !

Stina : ouais… (soupir) mais qu’est-ce que je me fais chier ! (rires)

 

Vous avez toutes plutôt tracé vos routes sur la scène punk d’Odense, pourquoi vous tourner maintenant vers le metal?


Astrid : en fait, un genre et un style, ça se décide pas autour d’une table. Quand on a joué ensemble, ça a fait Opror. Et, nous ça nous allait bien. Donc on a juste continué.

Stina : Mais, pour moi, on n’est même pas un groupe metal.

Lisbet : On n’est pas un groupe de metal ! Le metal, c’est Iron Maiden. Pour nous c’est effroyable. Nous on est les Beatles ! Ou je sais pas, putain… Les Thugs ! (rires)

En fait vous continuez à jouer comme des punkes?


Astrid : ces trucs de punks/metal, c’est comme l’industrie du skate et toutes ces étiquettes bien nazes pour te ranger dans un rayon de supermarché. On s’en cogne grave. Il faut s’en cogner grave ! Si tu t’es intéressé à Opror, c’est pas parce qu’on est des metalleuses ou je sais pas quoi…

… Ben, en fait, quand même… j’aimais bien le trip proto heavy, qui rencontrait le grind core et le death. Et comme je déteste le côté kitsch, ornemental-cheap, du metal, ça fait un moment que je tripais sur des trucs proto…
…

Oui, mais ça c’est parce que t’es un peu snob (rires) ! D’ailleurs en français tu t’appelles « petit bourgeois » (rires) !

Stina : Mais comme tu dis, t’aimes pas vraiment le metal et Opror, c’est pas forcément fait pour le fan de base de metal. De son point de vue de merde, Opror, c’est tellement n’importe quoi… que voilà…

Astrid : …Que voila, c’est punk.

Stina : Ah, non ! (elle donne un coup de coude à Astrid) dire c’est « punk », en 2019 ! Putain, l’angoisse ! C’est juste du rock’n’roll, dans ta face de punk ou de metalleux de ma teuch !!! Et c’est comme le skate, d’ailleurs, on s’en fout ! (rires)

Vous répétez tout le temps que vous vous en fichez du skate. Mais vous roulez toutes les trois, non ?

Stina : Ah, pas moi !

Astrid : Pas Stina.

Stina : Par contre j’achète plein de planches vintage. Des trucs préhistoriques trop chelous, que je chope sur Ebay et tout…

Lisbet : on te dit qu’elle est blindée !

Astrid : Le skate, moi, c’est comme Lisbet, j’en fais genre depuis 1984. Je suis cassée de partout, j’ai un joli sourire de princesse (elle montre une dent ébréchée). Oui, on a fait du skate. Oui on en fait toujours à fond. Mais, là encore, le truc des marques et des petits mecs, qui refont 1000 fois leurs kickflips bien sages, bien mondialisés, que même les papous, maintenant, ils doivent faire le même kickflip tout propre (rires) ! Putain, mais pour nous c’est slappy, c’est boneless, c’est… le boneless, t’en a tout un kama sutra à inventer ! Et vas-y met nous bien une étiquette « old school », je sais pas quoi… (rires)

Stina  : Franchement, en soi, le skate, je m’en fiche, si tu savais ! L’important, c’est ce qu’il fait à notre musique.

Et le skate, il « fait » quoi, justement ?


Stina : Ben, je sais pas… Tu nous a vu en répèt’, tu nous as vu sur scène. On est des dingues, quoi !

Lisbet : tu nous a vu bien high on fire, aussi (rires) !

Astrid : Oui, c’est… le skate, c’est un truc de colère rock’n’roll (Vrede, en Danois). Si t’es pas en colère, tu « fais du skateboard ». Mais c’est pas ça le « skate ». Ce qu’on a nous, c’est une colère globale, dans plein de trucs. Et cette colère, on la « cultive » (mime les guillemets et prend un accent distingué), notamment dans le skate. Mais ailleurs aussi.


Lisbet : Ouais, par exemple, quand Astrid, elle a un nouveau manager au resto, et qu’elle défonce le bac à frites juste pour…


(…)

Et vous êtes en colère contre quoi ?


Astrid : Et toi ? Contre quoi t’es en colère, « petit bourgeois sauvage »?


Stina : Il est où ton gilet jaune ? (s’esclaffe)

Lisbet : Next Question ! (imite John Lydon)

(…)

Ca n’a peut-être rien à voir avec ce que vous vous vivez, mais les Français, voient le Danemark comme un pays prospère, dans lequel, on nous dit que les gens sont heureux
…

Astrid : Odense, c’est trop bien ! On a le Festival Andersen ! (rires)

Non, mais dans les rapports des économistes institutionnels, on voit que ça va moins mal qu’ailleurs en Europe et ces mêmes économistes disent que les Danois sont plus « heureux » que les autres européens…

Astrid : Ah, ouais ? Les boules, pour les autres, alors !

Lisbet : Mais nous, tu sais bien, on n’est pas des danoises, on est des punks !

Stina : des punks skateuses ! (rires)

Lisbet : On en bave peut-être pas autant que les Gilets jaunes français ou que les classes populaires anglaises ou que les espagnols, ou je sais pas… Mais, je peux te dire qu’autour de moi, le bonheur, c’est un joli mot, bien abstrait. Quand je vois le nombre de mères célibataires, avec des emplois de chiottes, en interim ou en contrat court ou les chômeurs, qui, avec les nouvelles lois se retrouvent dans la merde parce qu’on a réduit à deux ans les durées d’indemnisation… Et depuis la dernière crise, des chômeurs de longue durée au Danemark, ça devient de plus en plus habituel. Je connais plein de gens qui flippent de perdre leurs indemnités et qui rêvent de se tirer en Suède…

Astrid : …même si c’est pas mieux en Suède.

Lisbet : Je sais pas…

Astrid : …Et ici, on a de gros problèmes avec l’extrême droite. Et pas que dans la rue ou dans les concerts.

Lisbet : Je sais pas si tu as entendu parler de la loi sur les bijoux ?

Non.

Ils font les poches aux migrants. En fait, le gouvernement a le droit de piquer tout son argent et le peu de richesse qu’il leur reste aux migrants et aux demandeurs d’asile. C’est du vol d’Etat ! Et, ce qui est incroyable, c’est que je connais plein de gens qui sont d’accord avec ça.

Astrid : comparé à il y a 15-20 ans, tu as une hostilité terrible vis-à-vis des étrangers.
(…)

Je voudrais revenir sur un truc, vous disiez que le style d’Opror, c’est pas un choix, mais vous avez quand même mis Lisbet au chant et, pour un groupe de filles… ça sonne quand même un peu masculin, non?


(rires)

Astrid : c’est pas forcément « masculin ».

Lisbet : c’est une de mes voix. Elle correspondait bien avec le truc, je l’ai laissée chanter, si on peut dire. Mais comme dit Astrid, c’est pas forcément masculin. C’est une voix masculine qui est en moi. C’est parce qu’à ma naissance, on m’a donné un nom masculin, qu’on m’a élevée comme un mec et que j’ai développé ce côté-là. Mais, je suis fondamentalement une femme, ou en tout cas, pas un mec ; et pour, moi, c’est l’une de mes voix de femme. Et tant pis, si elle sonne « metal » ! (rires partagés).

Je ne connais pas la scène rock indépendant au Danemark, mais toutes ces singularités, ça passe sans difficultés? Je veux dire avec le public et les autres groupes?


Ben, déjà, pour le public, on n’a pas encore fait de « vrai » concert, au-delà des gigs dans des bars avec presque que des potes. Et, après les autres groupes.  A Odense, on se connaît quand même à peu près tous, de près ou de loin (rires). Et donc, je vois pas trop…

Le EP va sortir sur bandcamp, sur une page française, est-ce que ça signifie quelque chose pour vous ?

Astrid : que tu es le seul à nous avoir proposé un truc ! (rires) Non, et sinon, qu’on est bien contente de bosser avec toi et que la « musique » (accent distingué) d’Opror aille chatouiller les oreilles des skateurs-punks-metalleux français. Et qu’on aimerait à fond venir jouer à Bordeaux. Si tu nous y invites, bien sûr !

Stina : Mais en fait, ça sera dispo pour le monde entier, non ?

Oui, c’est juste la porte d’entrée qui est française !

Odense, janvier 2019, relu et traduit de l’anglais par Lisbet Massoudi.

Interview d’Opror (part. II)

Après un premier entretien mené à Odense, en présence des 3 membres du groupe, Astrid et moi, échangeons par mail.

Message de réponse, reçu le 27/03/2019 :

« La dernière fois, on n’a pas beaucoup parlé de votre rapport au travail. Or, c’est intéressant, parce que Lisbet et toi, vous êtes employées dans le même restaurant (qui appartient à une chaîne de fast food danois, je crois). Peux-tu m’en dire davantage sur ce que vous y faites et si Opror dit des choses sur votre vie professionnelle ? Ou plus largement sur les conditions d’emploi et de travail au Danemark?

     Sur ce que tu veux savoir sur l’emploi au Danemark, je ne suis pas compétente pour te répondre. Mais avec Lisbet, nous travaillons chez DFC (que tu ne dois surtout !!! pas confondre avec l’autre DFC d’Odense, qui signifie Danish Fried Chicken, et là, ce n’est pas une chaîne). Le DFC qui nous emploie sert exclusivement du poisson et des fruits de mer. Je ne sais pas si c’est pêché par des Danois, aucune idée (il faut demander à Lisbet, car elle gère les frigos et la réception des commandes). Pour ma part, j’ai 50 ans et je suis chez DFC depuis 11 ans, et j’y ai occupé plusieurs postes vraiment très différents. Maintenant, je suis « Responsable propreté ». Ce n’est pas vraiment manager (parce que, comme Lisbet, je ne suis pas très bien vue !), mais si quelque chose ne fonctionne pas dans les toilettes, c’est moi qui suis en première ligne ! Mon travail est moins dur que celui d’équipière aux caisses ou à la préparation des commandes pour le drive, que j’ai aussi connus. Quand j’ai commencé, j’avais seulement un mi-temps « forcé », en horaires décalés. Là, je m’en sors mieux financièrement (mais c’est aussi parce que je vis avec mon mec, qui a aussi un travail). J’arrive donc à respirer un peu, sans toujours avoir l’impression de sortir du travail ou d’y retourner. C’est un travail qui ne m’intéresse pas du tout, qui m’use physiquement (moins que le skate, heureusement, ha ha ha !) et qui me tue nerveusement, mais qui, faute de mieux, me nourrit. Sur mon travail : je suis comme une ouvrière dans une grosse société avec des actionnaires, qui nous font trimer toujours plus vite, en se fichant totalement de ce qu’est notre travail. Pourvu que ça rapporte. On n’a jamais le droit de donner son avis, même si c’est dans l’intérêt du travail. Ou alors, si on est consultés, c’est toujours pour aller grosso modo dans un sens décidé, à l’avance par la direction. Bref, je suis sûre que cela fait partie de ce qui me donne de la rage et de l’énergie pour continuer à faire tout ce bruit ! Et, même si aucune de nous trois n’est actuellement militante dans des organisations politisées, Opror, c’est une façon pour moi de participer à la « lutte des classes ».

     Pour la couverture du EP, vous avez choisi une gravure représentant une jacquerie, au cours de laquelle, des serfs affamés s’en prennent violemment à ceux qui les dominent et les exploitent. Est-ce qu’Opror est un groupe politisé? Le cas échéant, est-ce que le fait d’être des femmes a une place là-dedans?

     Sur notre conscience politique, voir ma réponse précédente. Et je ne peux pas répondre pour Stina et Lisbet, qui, en plus ont des parcours assez différents. Ce qui est sûr, c’est qu’entre nous, on ne parle pas vraiment de politique. Nous sentons sans doute que ce serait dangereux pour la cohésion du groupe. Même si, c’est vrai que, pour la pochette, on était toutes les trois ok, pour celle que tu as proposée. Mais pour dire la vérité, je n’avais pas compris qu’il s’agissait d’une révolte de paysans. Pour moi, l’image était bien choisie. Ca représentait bien notre style : c’était une bataille, une mêlée de gens « en colère » (Vrede). Mais, comme je le disais (l’écrivais ndli) tout à l’heure, même si je ne m’y connais pas trop en politique, je suis d’accord avec l’idée de « lutte des classes ». Je ne viens pas d’un milieu d’ouvriers, dans le sens d’“ouvriers de l’industrie”, mais d’une famille de pêcheurs, de gens de mer, et je sais ce que veut dire gagner son pain à la sueur de son front. Lisbet est sans doute plus branchée que moi sur les mouvements sociaux, la résistance aux patrons, etc. Moi, je suis peut-être plus plongée dans le rock’n’roll, dans le côté créatif de la chose. Mais, j’ai vécu un temps à Copenhague, tout près de Christiana (la commune libertaire). Là-bas, j’ai quand même participé à plusieurs luttes contre les violences policières ou pour la libre circulation des étrangers. Mais aujourd’hui, je suis de retour à Odense et je ne sais pas pourquoi, je me sens moins mobilisée. Même si je ne me suis toujours pas calmée ! Sur la partie féministe, c’est pareil, je ne suis pas assez calée non plus. Je ne milite pas mais je partage certaines idées. Le droit d’avorter et les revendications sur la sexualité me parlent. Un autre point important : on est quand même un groupe de femmes qui joue de la musique plutôt brutale. Bien que ce soit moins rare aujourd’hui qu’il y a 30 ans, je considère que c’est une sorte d’acte féministe !”

Relu et traduit du Danois par Lisbet Massoudi

Interview d’Opror (part III)

Réponse par mél de Lisbet, reçue le 26/03/2019

     « La dernière fois, on n’a pas beaucoup parlé de votre rapport au travail. Or, c’est intéressant, parce que Lisbet et toi, vous êtes employées dans le même restaurant (qui appartient à une chaîne de fast food danois, je crois). Peux-tu m’en dire davantage sur ce que vous y faites et si Opror dit des choses sur votre vie professionnelle ? Ou plus largement sur les conditions d’emploi et de travail au Danemark?

     Je travaille chez DFC depuis bientôt 8 ans. C’est, effectivement, une chaîne, avec tout ce que cela suppose de standardisations, c’est une grosse boîte et un boulot que je déteste. Mais c’est un moyen de gagner ma vie ici. Les mentalités des employeurs danois sont assez différentes de celles des français, mais ce n’est pas simple pour moi d’être embauchée, en tant qu’étrangère (même si les français sont moins mal vus), en tant que trans, et aussi plus si jeune (j’ai 48 ans et je suis toujours très énervée !). Mon travail consiste à réceptionner les commandes de poissons et de fruits de mer, à gérer les stocks et à pinailler avec les fournisseurs pour qu’ils tiennent leurs délais (et qu’ils les raccourcissent!). Mes chers parents avaient raison, j’aurais du mieux travailler à l’école (je plaisante) ! Sur le travail lui-même, ta question me parle, parce que c’est vrai qu’avec Lisbet, même si on travaille dans la même organisation, on ne peut pas dire qu’on collabore dans ce cadre-là. En revanche, dans Opror, on est 3 et là on est complètement soudées. Donc, je ne sais pas si je réponds à ta question, mais, pour moi, déjà, ça c’est un gros doigt qu’on fait au travail quotidien (merdique!). Du point de vue des gens « biens », un groupe de meufs qui font du crust, à 50 piges, c’est tout sauf sérieux. En tout cas, pour eux, ce n’est pas du travail. Et moi, j’ai souvent dit ça, au contraire, avec Astrid, on travaille plus, lorsqu’on répète avec Opror, que lorsqu’on est au taf chez DFC. Ensuite, sur le plan politique, je me dis que beugler dans un micro, ça ne peut pas faire de mal. Mais, c’est vrai aussi que j’en vois mal les effets, surtout à notre niveau : on a un public de potes, une diffusion sur Internet (pour l’instant ;-), dans un océan d’autoprods. Disons que ça ne va pas dans le mauvais sens, puisque c’est une production culturelle qui est critique. Mais je pense que je fais plus de mal à mes ennemis politiques en militant qu’en répétant dans le local à poubelle de mon employeur. Et en même temps ça fait quand même beaucoup de bien ! Ca m’aide à donner du sens au fait de continuer à faire ce boulot et, en un mot, à tenir.

Pour la couverture du EP, vous avez choisi une gravure représentant une jacquerie, au cours de laquelle, des serfs affamés s’en prennent violemment à ceux qui les dominent et les exploitent. Est-ce qu’Opror est un groupe politisé? Le cas échéant, est-ce que le fait d’être des femmes a une place là-dedans?

Oui, pour moi c’est important. Lorsque tu as envoyé cette couv’, j’ai tout de suite été d’accord. En tant que française (mais pas seulement), je suis de près ce qui est en train de se passer avec les Gilets jaunes, dont personnellement, je me sens solidaire – ça n’engage pas forcément les autres membres d’Opror. Après, en tant que femme, oui. Et je dirais, en tant que minorité, puisque je fais partie de ces gens qui sont fondamentalement en minorité (les femmes, les noirs, les étrangers, les classes populaires – même si, je viens d’une famille des classes moyennes), que ce soit en France ou au Danemark, le grand pays de l’égalité (je rigole!). Après, j’ai mes propres positions, mais j’aimerais autant éviter qu’elles apparaissent comme celles du groupe dans son ensemble. Pour finir de répondre : Opror est certainement un groupe politique, mais pas un groupe politisé ou militant.

Tu es d’origine française, quel a été ton parcours, disons… de la France de Mitterand, au Danemark de Rasmussen ?


Tu as deux jours devant toi ?  ;-)
 Le mieux serait de s’appeler ou de se faire un Skype. »

Interview d’Opror (part IV.1)

Suite de la conversation avec Lisbet

Visioconférence du 03/04/2019

Pour faire bref, je suis née en France, à R…, ville que, je suppose, tu connais au moins un peu. Pour moi c’est vraiment le coin-type des petits branleurs prétentieux. Les parents des autres gamins travaillaient tous genre dans l’immobilier et tout le monde se la pétait, mais à fond… Alors qu’on était à « Ploucland, Rase-Campagne »… ! Tu me diras, en France t’as plein de bleds, qui, à un moment ou un autre ont pu décoller un peu économiquement, parce que le vin, parce que le blé, parce que les touristes… avec des gens qui se la racontent comme ça. Mais là c’était une sale ambiance qui donnait le ton pour toute la ville. Et, dans le collège de centre-ville où j’étais, si tes parents avaient pas la caisse-machin, que tu passais pas tes vacances au pays basque-machin et que tu portais pas, genre, les bonnes chaussettes, mais, c’était plié-mort dès le départ ! (…) Bref, de ma naissance, à mes 22-23 ans, mes parents m’ont appelé Walid (…) Donc, mes parents m’ont appelé Walid… Ma mère est française, pas mon père. Ce qui en soi, chez eux était déjà un beau petit bordel, mais bref… Mes parents c’étaient des profs, soi-disant ouverts, soi-disant cocos, humanistes… mais tendance stal’, en fait ! Mon père avait peut-être même plus une tendresse pour Mao !… Et, avec, à côté, un espèce de besoin de reconnaissance sociale… mais de l’espace ! Les hippies, les gauchos, les soixante-huitards, tout ça… c’était acceptable pour le folklore. Pour la Fête de l’Huma, à la limite, c’était bien – quoique… Mais, en fait, c’était la lie, tu vois ! (rires) Des gens de gauche mais bien de droite, au fond. Et pas qu’au fond ! (…) Je te raconte, hein…?

Oui, oui, c’était ce qu’on s’était dit…

Ok. Donc, à ma soeur, mon frère et moi, ils nous ont toujours mis la pression à fond sur les études. (…) Mon frère, c’était le plus scolaire de nous trois. Lui, il s’est pris les pattes dans toutes les contradictions « culturelles » qui trainaient : on était des enfants d’intellos, lui et moi, on avait des prénoms arabes, on nous élevait dans une vague religion communiste, mais avec surtout les valeurs de petits connards, et en plus on avait pas vraiment de thunes, mes parents pouvaient pas se payer une bagnole correcte, et en même temps on était sapés comme des princes… Et puis, quand mon frère était en 4e, mon père avait fait venir sa mère (d’Afrique du Nord)… Donc, à R…, avec son père et la grand-mère de là-bas, sur le dos, t’imagines bien que mon frère, il avait tout pour plaire ! Ma soeur a pas du tout géré. Et moi, « déplacée » à La Rochelle, j’étais pas vraiment là pour les protéger. Je l’ai su après, mais pour mon frère ça a été une drôle de période, super dure, complètement dégueu, en fait. (…) Bref, à La Rochelle, je sais pas s’ils croyaient me mettre en pension et que là-dedans, j’allais… je me calmerais ou quoi (dans une filière art-pla, c’était, quand même, tellement réaliste !). Je sais pas trop ce qu’ils se sont racontés sur les vertus de l’éducation artistique… Mais, en fait, à La Rochelle, ça a fait tout le contraire. A l’internat, je me suis déchaînée genre trois fois plus. Je séchais tout le temps, je traînais tout le temps dehors, qu’avec des mecs… des espèces d’artistes déjantés. Mais super libres. Des gens ultra créatifs, hein. Et à moitié clodos et, en plus, à l’époque certains étaient à fond dans l’héro.

Ils la fumaient ?

Oui…non, surtout ils la shootaient.

Ok. Et toi aussi ?

Non. Moi je les aidais à taper. Mais, l’héro, que ce soit à fumer ou à shooter, ça me convenait pas (…).

Donc, là tu étais toujours au lycée?

Oui. et j’ai lâché l’affaire en fin de première, et comme mes parents savaient plus ou moins que je créchais dans un squat et que, moi, je savais trop bien qu’ils flippaient à mort à cause de la drogue (alors que je prenais même pas d’héro…), je les ai persuadés de me payer une formation dans une école de radio, à Lyon. Où là, encore, ils m’ont délocalisée ! Et Lyon, dans ces années là, c’était grave gavé de super groupes de garage-punk-machin. Et, j’ai pas tardé à me mettre à la gratte et à jouer dans des tas de groupes, tous mélangés. Le bassiste d’un truc faisait la batterie dans deux autres trucs, après il pouvait être au chant… Bref, c’était la grosse consanguinité créative et bordélique ! (rires). (…) Je me suis installée avec un mec, qui avait un appart’. Il était étudiant, mais juste inscrit, et il taffait dans une radio où je suis venue travailler aussi, d’abord pour un stage et puis après j’y suis restée un moment. A cette époque là, je faisais plus du tout de skate, j’étais à fond dans le délire skin, branchée reggae à 200%. On allait à plein de concerts, dans des rallies de scooters, avec des ambiances parfois bien tendues avec les fafs de Lyon. (…) Et là, avec un pote qui me traînait souvent en Brett’ (Lambretta ndli), on a eu un gros accident, en plein Lyon (lui, il a fait 2 jours de coma, il a eu des broches, un sale truc). Mes parents l’ont su, ils se sont soudain souvenus que j’existais. Et, évidemment, ils ont débarqué à Lyon, sans prévenir. Et quand ils ont tilté que je vivais avec un mec, mon pauvre père s’est limite chié dessus de désespoir… de honte… de…, je sais pas… de rage ! (rires) Comme… dans l’état où j’étais, il pouvait pas trop me frapper, alors il s’en est pris à mon copain, et puis il a tout pété dans l’appart’. Mais, le carnage ! Comme dans un film, t’avait les skeuds qui volaient en rase-motte ! Après ça, ils se sont barrés. Et silence. Des deux côtés. C’est un moment où j’ai créché chez des potes. Ils m’ont logée. Je suis restée chez eux, mais dans les vapes pendant presque trois mois. J’avais 23 ans, et c’est le moment où j’ai senti qu’il fallait vraiment se casser, sans plus avoir de comptes à rendre… à des espèces d’hystéros du moyen-âge !

21 tweets postés par suf marenda, le 20 mai 2019, de 14h07 à 14h48

1/ En 1985, le yoyo faisait fureur. Rebaptisé « Roll’in », il avait été mis en marché sous deux designs (standard et géant), frappés de trois sceaux publicitaires distincts (Coca, Fanta et peut-être Sprite). #Notaremunerativeactivity

2/ Les buralistes en vendaient des caisses. Ils nous fourguaient aussi des ficelles de rechange. #Notaremunerativeactivity

3/ Vingt-cinq ans plus tôt, nos parents, qui avaient tressé quelques kilomètres de scoubidous (puis rebeloté en ’81), savaient un peu à quoi s’en tenir en matière de tocades et de ciblage marchand de la jeunesse. #Notaremunerativeactivity

4/ Pourtant, une part d’eux-mêmes (pas la plus fute, manifestement) était demeurée réceptive aux mélodies de certains pipeaux. #Notaremunerativeactivity

5/ Avec un mépris mêlé de fascination, mon père m’avait parlé d’un lycéen devenu homme sandwich pro pour Roll’in : “grâce à leurs « démos » de rolling (lui et moi on le prononçait comme ça), ce jeune, il gagne facilement 1 million par mois (10 000 fr) !” #Notaremunerativeactivity

6/ De temps en temps (deux fois l’an, environ), je repense à ce pro du yoyo et je me demande sur quoi il a bien pu embrayer après que la folie du Roll’in s’est évanouie. #Notaremunerativeactivity

7/ – je ne peux imaginer que son employeur que son employeur ne se soit scrapuleusement préoccupé de son reclassement. #Notaremunerativeactivity

8/ A la même époque, Pierre-André Sénizergues était endorsé (ou quelque chose comme ça) par Sims (la marque américaine de plancha). #Notaremunerativeactivity

9/ En lisant Bicross mag, j’avais retenu qu’après un bac E (comme celui qu’a passé Bernard Lahire) et un rapide passage à la fac, Sénizergues avait validé un DEUG A (en sciences fondas). #Notaremunerativeactivity

10/ Réaction de ma mère : “Oui, et alors? Mais tu sais, c’est pas grand chose un DEUG. DEUG, c’est l’acronyme de “Diplôme d’Etudes Universitaires Générales”. Il a seulement fait deux ans d’études supérieures. S’il ne poursuit pas…”. #Notaremunerativeactivity

11/ Finalement, les skateboards se sont mieux vendus que les yoyos. Sénizergues s’est construit une belle carrière de pro. Installé à L. A., il a monté une boîte qui conçoit et fabrique des chaussures de plancha (Etnies). #Notaremunerativeactivity

12/ En parallèle, il produit des films écolos (notamment, ceux réalisés par L. di Caprio). Donc, dans l’esprit de mes parents (et sans doute des vôtres), c’est quelqu’un qui a plutôt bien “réussi”. https://franceculture.fr/personne/pierre-andre-senizergues #Notaremunerativeactivity

13/ Tant mieux pour lui, se serait exclamé mon pauvre père (s’il était toujours des nôtres) ! Le tout, c’est de ne pas terminer comme-mon-cousin-Aymen ! #Notaremunerativeactivity

14/ Quel rapport, papa ?! ‘M’étonnerait qu’Aymen ai roulé sur une plancha… Il était balèze au yoyo ? #Notaremunerativeactivity

15/ A la fin des années 60, l’Aymen en question, a enregistré un 45 tours chez Barclay. Son nom d’artiste avait été francisé (genre “Gérard de Normandie”). #Notaremunerativeactivity

16/ Mais cette fine tactique n’avait pas suffit à faire décoller les ventes de « Pourquoi nous deux ? », son premier (et dernier) deux-titres (face B : l’instru de « Pourquoi nous deux ? »). #Notaremunerativeactivity

17/ Vingt ans après son échappée, le cousin en était réduit à vivre d’expédients (des jobs sur les marchés). « On » aimait à répéter qu’il avait les ailes bien cramées. #Notaremunerativeactivity

18/ Et, pour la famille, dès que l’occasion s’en présentait, c’était trop bon de pouvoir faire chier toute la descendance avec la si (formidable?) scandaleuse histoire du cousin Aymen. #Notaremunerativeactivity

19/ A l’adolescence, à la maison, ça a fini par donner : “c’est ça, va gratter ta guitare, hein ! Tu veux finir au RMI, comme Aymen ? Fils de con, va !” (je jouais de la basse). #Notaremunerativeactivity

20/ Je raconte tout ça. Moins pour la nostalgie de merde, que pour dire un mot du creuset dans lequel s’est forgé le triple rapport

21/ aux industries culturelles, au marketing, à l’articulation formation/emploi, au salariat, aux subcultures, à MES parents et à Los Angeles, d’un petit bourgeois sauvage, né en France, 5 ans (en gros) après Mike V. https://mikevallely.com #Notaremunerativeactivity

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